Le Prince d’Haussmann

Posted by Mama on 30 avril 2011 | Subscribe
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Un texte écrit pour le concours de Nouvelles organisé par CLUB POKER . Vous pourrez voter pour celle qui vous emmènera le plus loin à partir du 2 mai ... soyez indulgents c'est mon premier essai... Je valse sur l'épaisse moquette d'Haussmann, mes talons ne touchant plus terre. Je valse dans les bras du Prince des joueurs, mort il y a 20 ans et alors ? Je suis la seule à le voir et alors ? Je goûte dans son cou l'odeur de grey flanelle et de cigare. Je m'abandonne dans ses bras au rythme des violons imaginaires. Une valse de Rachmaninov bien sûr, la tragédie slave. J'ai gagné 10000 euros grâce à lui. Papouchka mon Papouchka … et voilà comment...   Départ pour Haussmann boule au ventre. Départ pour ma dernière chance. Je tâte ma poche. Contact rassurant de la petite liasse, mon sésame pour une nouvelle vie. Une nouvelle vie sous les ponts, ou enfin peut-être l'espoir d'un nouveau départ. Il ne me reste que ces 500€. Je suis broke. Vidée, fauchée. J'ai décidé sur un coup de tête de tenter le tout pour le tout. Ce fric je vais le jouer. Folle ? Peut-être. Inconséquente ? Sûrement. Ne pas s'éloigner d'un cheveu de mon rituel. Cour Saint Emilion: ne pas marcher sur les lignes entre les pavés. Métro: monter toujours dans la dernière voiture. Trajet : relire mon calepin et tous ces coups joués, synonymes pour les victoires comme pour les défaites, de progrès. Pyramides : l'ascenseur qui doit arriver en moins de 30 secondes, sinon c'est mauvais signe. Marcher vite pour évacuer la tension : avenue de l'opéra, à droite rue Gaillon, tout droit, on y est. Rapide baiser soufflé aux voituriers, formalités avec le Zemmour de l'accueil, la caisse, le Bar. Une coupette et vite une dernière clop au fumoir, protégée par les portraits noirs et blancs de joueurs chanceux. Table 7, siège 5 : sept plus cinq 12, un plus deux 3. Mon nombre fétiche tout va bien. Je sors mes grigris, mes clopes, mon portable. Les croupiers vous le diront, je viens toujours avec ma maison. Shuffle up and deal. Je fais le yo yo comme d'habitude. Concentrée. J'ouvre A4 en SB et hésite à compléter la relance du bouton. Soudain une petite voix à mon oreille. Juste un souffle : « Vas-y ». La petite voix dont parle Isabelle Mercier peut-être? J'y vais. Nous sommes 2. Caroline distille le flop comme trois petits miracles : A44. Check, ouverture, callé. Brique. Check,ouverture, acting, callé. King. Check, Tapis, suivi. Il se croit beau avec son AK et regarde éberlué mon full... La partie continue... A chaque intervention, la voix se fait de plus en plus forte. Elle n'était qu'un ru, elle gronde maintenant dans ma tête comme une vague. C'est une voix d'homme teinté d'un fort accent russe: couche toi Nanouchka ; relance dourak (imbécile) ; check maya liouboff (mon amour). Une forme s'est peu à peu dessinée, puis matérialisée. C'est effectivement un homme. Il est nonchalamment accoudé sur le dossier de la chaise du Croupier. La fumée de son cigare ne semble pourtant pas déranger Thomas. Il est grand, brun, sec, tiré à quatre épingles dans un costard noir qui sent son sur mesure. Chemise blanche en lin fin, cravate en soie légèrement dénouée, Weston cirées. Grosses lunettes noires posées sur son grand nez agressif. Un Dan Aykroyd, un Jean-Jacques Mars, qui semble respecter à la lettre le postulat de Baudelaire : « Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir » « Ça y est Ouchka tu me reconnais ». Ce sourire fait monter à ma gorge des vapeurs de chocolat chaud, de vieux papiers et de colle gommée. Les albums de famille en cartons épais ; les images collées par des « coins photos » ; le canapé gris et la voix de ma grand-mère Céline, ma Grany, qui aimait tant raconter son bel amour russe, son beau prince... « J'étais une fêtarde ma Sofinette, tu tiendras de moi je pense, je le sais. Regarde comme j'étais belle avec mes boucles d'or et mes yeux bleus pâles. Et même si j'étais petite, j'étais toute menue. Un rien m'habillait : regarde mais regarde ce chapeau !!! C'est ma soeur qui me l'avait fait. Pas Josette la chipie hein, mon Yvonne. On a fait les 400 coups ensemble et tu sais à l'époque les femmes qui sortaient, dansaient et fumaient c'était mal vu. Les années 30, le bal des Carabins, les potes de la capa de droit, le quartier latin : on rentrait avec nos talons à la main tellement on avait dansé. Je ne voulais pas me marier avec n'importe qui, alors des prétendants j'en ai découragé : trop gros, trop maigre, futur chauve, nom ridicule... comme j'étais stupide. Alors oui, lui il m'a hypnotisé. Il était élève ingénieur dans une grande école. Un prince russe, un vrai tu te rends compte !!! Son père avait été gouverneur de la Province de l'Amour : ça s'invente pas. A la révolution de 1917 , sa mère, une grande dame la babouchka, a totalement adhéré au régime. Enfin elle a fait semblant. Elle est devenue plus coco que coco et a été nommée inspectrice des écoles. Ton grand-père avait une grave maladie des yeux et pour ses 15 ans, elle a sollicité un visa pour la France pour le faire opérer. Arrivée à Paris, demande d'asile politique. Accordée. Elle est devenue professeur de russe et de français dans un lycée. Son petit prince c'était tout pour elle. Elle l'a pourri gâté son aristo. Il était égoïste comme un lion et fainéant comme une couleuvre. Un prince ça fait pas la vaisselle, ça descend pas la poubelle et ça va pas se salir les mains à travailler !!! On a continué un temps à faire la fête avec ses copains de Menton à Paris : des duchesses, des comtes, des marquis un vrai roman de Kessel. J'étais devenue la reine des blinis et du borch... Et puis ta mère et la guerre sont arrivées. Et pour moi ça c'était sacré et fini la bamboula. On ne plaisante pas avec l'éducation ni avec la France. A deux sur mon salaire de juriste ça allait encore mais avec un gosse fini de rire. Hé bien il a rien voulu entendre !!! Il a continué à sortir, mener grande vie et à jouer surtout à jouer. Il jouait à tout : les courses, les dés, les cartes. Certain soirs il revenait avec du champagne, des fleurs, des cadeaux... d'autres fois la mine basse il m'empruntait 10000 francs, des anciens hein, pour jouer sur un canasson qui d'après lui allait tout donner à Longchamp... ou pour jouer un poker avec de vrais dindons qui ne demandaient qu'à se laisser plumer... Et puis un jour je suis rentrée à la maison ce salaud était parti et avait tout pris : mes économies, les bibelots, les couverts...Quel salaud, mais quel salaud !!!! Mais quelle cruche j'étais : il était tellement beau mon prince..." Perdue dans mes souvenirs, je ne joue plus aucune main et sursaute quand je sens un méchant pinçon sur ma joue. Mon voisin me regarde bizarrement. La voix s'est faite plus dure : « Regarde tes cartes imbécile ». J'ai un anodin QJ. Il me dit « Balance ton tapis Mamochka ». « Mais t'es dingue, je suis chip !!! Ca sert à rien !! ». Il y a un silence à table et je crois que j'ai parlé tout haut. Gênée je me redresse sur ma chaise et faussement calme, poussant mes jetons vers le centre j'annonce, d'une voix que je veux ferme: "All in ». Instant call par 2 joueurs qui retournent respectivement AA et KK. C'est mort...je ne payerai jamais ce putain de loyer...la tête de Joël quand je vais lui annoncer que j'ai joué nos derniers sous !! Comment on va faire? Où je vais aller ? On est en mai : on peut être expulsé en 7 mois ? Olivier dispose les jeux, les jetons...je ne serai pas out mais carrément mal. Pendant ce temps, facétieux, Papouchka fait semblant de cirer le crâne d'Olivier avec sa cravate en me faisant une grimace. Avant que celui-ci n'ait ressaisi les cartes, dans une accélération à la Nemo, elles semblent voler dans les mains de mon grand-père et retombent en un paquet parfait sur la table. Je lui crie : « Mais arrêtes t'es fou ». Toutes les têtes se retournent vers moi dans un silence oppressant, celui réservé aux fous et aux scandales. Rouge de honte je reste debout pour voir mon croupier chéri offrir à nouveau le plus improbable des boards : J 5 3 Q Q. Le reste du tournoi se déroule comme dans un rêve, ou un cauchemar éveillé. Le Prince continue à faire le clown et à brouiller les cartes à mon avantage. Il imite un cheval derrière Philippe Ktorza, mime Big Roger en marchant derrière lui, fait mine de toucher les poitrines d'Isabelle Mercier, d' Alana, de Karine ou d'Ondine, fait semblant de tondre Elky, chante d'une voix de fausset devant Bruel, esquisse quelques pas de salsa derrière Pedro. Il s'amuse à faire voler le chapeau de Nesrine, verse une goutte d'eau sur le sucre d'Angelo, allume le cigare de Jean-Jacques... Je rigole de plus en plus devant ma montagne de jetons. Je suis peut-être en train de devenir dingue, mais je m'amuse...En tout cas toutes les personnes ici le pensent, je m'en fous, déjà ITM, je commande une roteuse pour moi et mon Prince. Je trinque avec lui. Les regards maintenant m'évitent. Les croupiers se succèdent sans rien voir : Diane, Mickael, Krys, Stéphane, Alex, Céline, Krystel, Davy, Gaetan, Kate ... seul Bruno, le plus intuitif, semble à un moment désorienté et cherche autour de lui... La TF. Tellement easy game. Je suis pétée comme un boulon avec tout ce champagne à jeun, mais il est làààààà grand-papapapapapa et il me sauve tous les coups. Euphorique j'arrive au head's up. Ça tombe bien une joueuse que je déteste... L'une de ces joueuses amatrices, choisissant d'imiter les hommes dans ce qu'ils ont de plus con, à savoir se poser en pro du poker, sentencieux, donneur de leçon, persuadé d'être grand maître du poker es Holdem avec un best result de 50€ sur internet... Comme on a envie de rigoler, il me fait grignoter son tapis à coup de chattages caractérisés immondes, sublimant mes 2 2, transcendant mes 4 5, rentabilisant mes Q 8. C'est la Win !!! One time !!! Tous ces beaux billets craquants dans mes menottes. Tout ce champagne, toutes ces félicitations et ces sourires hypocrites. Et cette valse irréelle...Et sa voix, avec cet accent devenu si cher à mon oreille: » Tu vois, Nanouchkaïa, je suis pas le sale type qu'on t'a décrit. J'aime juste la vie et le jeu, et la vie est un jeu, et le jeu est la vie. Pourquoi vivre une vie insipide et le métro, boulot, dodo, manger des pâtes et boire de l'eau, quand on peut circuler en carrosse, jouer, ne jamais dormir, baignant dans l'ivresse des bulles, du caviar et des blinis. Tu es une princesse Ouchka et je vais te rendre ton rang. Viens au cash avec moi, demande qu'on t'ouvre une grosse table dans un salon privé. Je vais faire de toi la reine d' Haussmann, une légende, un mythe. Penses à la joie de tes fils, à la stupeur de ta mère, elle qui, fille indigne n'a jamais touché une carte...ta vie va devenir une fête éternelle, foi de Papouchka » Oubliant les jérémiades passées de ma mère et de ma grand-mère, passant sur les propos antisémites que le Russe blanc avait tenu sur mon père, suivant les odieuses traces du Prince, je claque des doigts et réclame l'ouverture d'une table de cash à la hauteur de mon nouveau pécule. J'exige du champagne, du caviar et de la vodka, et le meilleur Havane qu'on puisse trouver pour Papouchka. Je franchis pour la première fois les portes du salon privé et pleine de morgue et de certitudes je m'installe. Je réclame un cendrier, en moins de 5mn j'ai ma bouteille, mon encas, toutes mes exigences sur une desserte. Le Prince est affalé sur un sofa avec son cigare. Il me semble plus petit. Sa peau est ridée, ses doigts jaunis par la Nicotine, et je remarque les poches aux genoux de son costume. La partie commence. Papouchka boit coupe sur coupe, vodka sur vodka, et m'adresse des sourires noirs de caviar... il commence à faire des gestes obscènes : je ris de ce rire qui me devient maintenant familier, le rire d'une démente. Il se lève et se traine vers la table, sa démarche n'a plus rien de princière. « All in prochaine main Nanouchka ». Son haleine pue le cigare, l'alcool et les dents gâtées. Sa voix grince désagréablement, la main qui caresse ma joue est sèche et glaciale. 7 3 même pas peur, je suis la reine d'Haussmann. Demain Elaine m'encensera dans Live Poker avec la bénédiction de Raquel, Xewod se prosternera devant moi et tout le CP me réclamera des photos dédicacées à accrocher dans leurs chambres. Suivi par un joueur grande gueule vêtu de l'inévitable polo Ralph Lauren rose tendu sur sa bedaine, je me renverse sur ma chaise, avale cul sec une coupe et un shot de vodka. « Allezzzzz tout pour Mama » je lance sous les sourires maintenant obséquieux des quelques spectateurs autorisés. Mon adversaire jette sur la table KK et crie : "Fais péter la couscoussière. » Je rétorque en hurlant : « Fais péter le Samovar ». Le flop tombe : 7 3 4 . Je commence à exécuter une danse sauvage décomplexée par les degrés et l'adrénaline ; turn 10 ; un violent K arrive river. Je retombe sur ma chaise, qui n'est pas assez basse. Je retombe donc à terre, face sur l'épaisse moquette d'Haussmann, où je me roule, mes talons jetés aux coins de la pièce. Je me roule aux pieds de mon Prince qui ricane et me crache «  Petite idiote, tu as renié ta grand mère, ta mère, ton père pour un fantôme. Mon fantôme et celui d'une gloire que tu n'es même pas capable d'atteindre seule. Je t'ai joué, j'ai bluffé et j'ai gagné, indécrottable imbécile. Tu es juste pathétique, comme je l'ai été... ». Je sanglote, m'accroche à son pantalon, crie, hurle, pleure, bave, me redresse, jette à la tête de ce maudit fantôme la coupelle de caviar, les bouteilles, mon zippo, mes clopes, mes talons retrouvés … Jean-Jacques d' Haussmann arrive et me gifle violemment : un bel aller retour à l'ancienne, à la Gabin, à la Bogart. Je reste prostrée par terre, exsangue, déjà morte, riant et pleurant sur mon sort... J'entends toujours son rire d'une méchanceté poignante. Des pas, un attroupement. On soulève mes paupières, on me traine dans l'escalier, mes pieds rebondissent sur les marches. Je vois son ombre à la fenêtre qui me fait au revoir de la main. Ambulance, on serre mon bras, non pas de piqures … le visage de l'infirmier est démesuré, tordu …..........   Réveil en nage. 6H18. Le tournoi est à midi. Je ne vais peut-être pas le jouer finalement... Pour voter C'est là et n'hésitez pas à partager...
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